La bien-traitance, par Arnaud Deroo

Consultant en éducation, thérapeute, psychanalyste, comédien et auteur, Arnaud Deroo ne manque pas de casquettes pour aborder une problématique transversale – celle de la bientraitance.
Comme Danielle Rapoport, spécialiste du sujet, il écrit bien-traitance en deux mots, insistant sur la symbolique du trait d’union. Symbolique qu’il a souvent l’occasion d’expliciter. De son œil expert, il observe les pratiques des pros de la petite enfance, qui le sollicitent pour améliorer l’existant. Donner la parole à Arnaud Deroo, c’est comprendre les mécanismes à mettre en œuvre pour favoriser la bien-traitance dans les lieux d’accueil, pour les enfants et leurs accompagnants. Décryptage.

Définition de bien-traitance

La bien-traitance est un néologisme orthographié d’emblée avec ce trait d’union au début des années 90 par Marie-Jeanne Reichen, coordinatrice du Comité de pilotage de « l’Opération pouponnières ».

Beaucoup considèrent qu’être bientraitant consiste à ne pas être maltraitant. Ce prérequis ne suffit pas. Dans le fait d’être bien-traitant, il y a l’idée de se mettre au niveau de l’autre, dans l’empathie – « d’abord, je comprends sa manière de voir le monde, ensuite je ne lui fais pas ce que je n’aimerais pas qu’il me fasse », décrypte Arnaud Deroo. En un mot, « la bien-traitance, c’est un je qui rencontre un je ».

La bien-traitance dans les lieux d’accueil

Dans les faits, difficile de bien comprendre ce que cela implique – d’autant plus en lieux d’accueil, avec des tout-petits. Pour créer le lien symbolisé par le trait d’union, pour panser l’enfant au quotidien et lui permettre d’évoluer dans une sécurité affective indéniable, il est important de penser ses pratiques, martèle le spécialiste, de prendre du recul.

Penser pour panser

Penser l’accueil, c’est se demander quels sont les ingrédients nécessaires au bien-être de l’enfant, comment lui apporter une force et une sécurité intérieures pour la suite de sa vie. Plusieurs points semblent importants :

  • Permettre à l’enfant d’avoir une ou plusieurs figure(s) d’attachement,

  • Respecter ses besoins fondamentaux

  • Respecter une continuité dans la prise en charge

  • Favoriser les activités librement choisies

Être dans la joie

Au-delà de l’enfant, être bien-traitant, c’est être dans la joie et garder en tête le sens de son travail.  Si l’on perd cela, si l’on s’enferme dans des activités par manque d’envie ou d’épanouissement, on ne parvient pas à sécuriser l’enfant. D’où la phrase que reprend souvent Arnaud Deroo : « Offrir des adultes fanés aux enfants, c’est très grave. ».

Ne pas quantifier, qualifier

« Être bien-traitant, ajoute-t-il, c’est ne pas avoir de conditions ». C’est être là pour l’enfant quoi qu’il arrive… Cela implique de prendre du temps avec l’enfant, de l’observer et de pouvoir décrire ses qualités aux parents.

Notre société d’injonctions, qui attend de nous des résultats quantifiables, va à l’encontre de l’épanouissement des enfants. S’arrêter à la manière dont l’enfant joue et interagit avec les autres enfants a beaucoup plus de valeur que de donner chaque soir aux parents son dessin du jour.

Cela permet aussi aux professionnelles de changer de posture et de ne plus imposer des activités aux tout-petits mais de s’adapter à leurs besoins – une attitude plus douce pour elles aussi.

Des changements systémiques pour plus de bien-traitance

Des exemples d’un manque de bien-traitance ?

Difficile de lister tous les cas de non bien-traitance. En voici malgré tout quelques-uns pour esquisser ce qui se passe souvent dans les lieux d’accueil :

  • J’utilise le « on » au lieu de m’adresser personnellement à l’enfant – « on va manger ». Si ce « on » devient exclusif, il dépersonnalise l’enfant.

  • Je fais du collectif au lieu de proposer des attentions individualisées.

  • J’assois les tout-petits pour chanter alors que cela ne répond pas à leurs besoins.

Face à ces réalités, très présentes sur le terrain, les pros opposent toujours une réponse, elle aussi de terrain – nous n’avons pas le temps, nous n’avons pas les moyens, nous n’avons pas le personnel pour changer la donne.

Les conditions de travail des professionnelles ont un impact sur leur manière d’être avec les enfants

La crise du secteur de la petite enfance n’a rien de nouveau – elle fait régulièrement la une des médias sans vraiment mobiliser les hommes politiques. Pourtant, elle provoque des ravages au quotidien et est à l’origine d’une véritable violence institutionnelle.

Lorsque les personnels absents ne sont pas remplacés, que le nombre d’enfants par professionnelle augmente faute de recrutements, que l’on demande toujours plus en termes de marketing (sur des approches particulières, la langue des signes bébé, etc.) et que l’on veut rentabiliser les structures au maximum, on ne permet pas aux professionnelles d’exercer leur métier de la bonne manière.

Insidieusement, cela met en place un cercle vicieux, explique Arnaud Deroo. Ne pas être en mesure de bien faire est très violent pour une pro. Elle aura donc tendance à tout faire plus vite pour ne pas laisser le malaise s’installer. L’enfant en subira directement les conséquences.

« Quand on s’occupe de la bien-traitance des enfants, les professionnelles vont mieux »

L’inverse est vrai également : quand on améliore les conditions de travail des professionnelles, les enfants vont mieux. D’où l’importance de donner aux pros de la petite enfance des outils pour remettre la bien-traitance au cœur de leur projet d’accueil :

  • De meilleures conditions de travail, grâce à des mesures politiques fortes s’appuyant sur les besoins fondamentaux de l’enfant (et plus sur la rentabilité),

  • Une prise de recul et une réflexion communes sur l’aménagement des espaces. En élargissant l’espace, en aménageant des coins différents dans une grande salle et en proposant des ateliers non pas imposés mais choisis par les enfants, on crée de meilleures conditions pour l’épanouissement des petits et des pros

  • Plus de formations pour donner aux pros des axes d’observations et les mots adéquats pour échanger avec les parents. Si certains parents sont sceptiques sur les activités librement choisies, il faut être capable de leur expliquer que l’on a réfléchi à l’espace et au jeu, que des notions sont travaillées bien qu’il n’y ait pas de résultats quantifiables chaque jour.

Par ailleurs, proposer des formations rapides aux élus les aiderait à mieux comprendre le quotidien des professionnelles et ce que cela signifie d’accompagner un jeune enfant chaque jour.


Développer la sécurité intérieure des pros, les valoriser, c’est leur permettre de sécuriser les enfants en leur donnant une force intérieure qu’ils pourront utiliser tout au long de leur vie. « Être bien-traitant, c’est d’abord réapprendre à s’aimer et à se faire confiance », conclut Arnaud Deroo. Faisons en sorte que la société vise d’abord le bonheur et l’épanouissement de chacun. Le reste suivra.

Découvrez notre article avoir conscience des bienfaits de la bientraitance pour l’encourager et notre article bientraitance : “écouter et verbaliser, c’est vraiment la clé” pour en connaître davantage sur la thématique.

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  • Participez à la grande Journée Bien-traitance « Winnicott comme Winnie L’ourson, et autres doudous » qui aura lieu à Paris le 10 juin 2022. Arnaud Deroo, Danielle Rapoport, et bien d’autres spécialistes de la thématique animeront la journée d’interventions passionnantes.

  • Retrouvez les ouvrages d’Arnaud Deroo parus aux Editions Chronique sociale.