La gestion des émotions en lieux d’accueil

La fin d’année approchant, on constate parfois une lassitude des professionnelles de la petite enfance, qui évoquent une « fatigue hivernale » des tout-petits, qui seraient plus excités qu’en temps normal, moins sereins. Ce constat, s’il est partagé, n’a rien d’une fatalité. Aurélie Allain, formatrice enfance et petite enfance sur la gestion des émotions, spécialiste des neurosciences, revient sur des pistes à explorer pour faire en sorte que les émotions des jeunes enfants et celles des professionnelles de la petite enfance (colère, frustration, joie, peur, tristesse, etc.) s’intègrent au sein du quotidien de chacun sans pour autant le ternir.

 

Prendre conscience des synergies entre nos émotions d’adulte et les émotions des tout-petits

 

La synchronisation biologique

Certaines recherches ont montré que lorsque des individus vivent dans le même endroit ou sont dans une relation empathique, leurs horloges biologiques se synchronisent. Sans en avoir conscience, on communique à son entourage ses états d’âme intérieurs. Ainsi, quelqu’un de très stressé, d’angoissé aura un rythme biologique plus rapide et enverra des signaux différents de ceux envoyés par une personne sereine : respiration plus rapide, rythme cardiaque accéléré, élocution plus rapide et tonalité de voix différente. 

Ces signaux sont perceptibles par tout à chacun, et encore plus par les tout-petits, très sensibles aux manifestations non-verbales et para-verbales de nos modes de communication. Des adultes tendus ou fatigués transmettent ainsi aux jeunes enfants leur stress, leur fatigue ou leur malaise. Cela produit parfois un cercle vicieux : la fatigue adulte est reçue par l’enfant qui ressent des sensations désagréables sans pouvoir les analyser – ce qui peut provoquer chez lui un comportement plus agité.
 

Le rôle des neurones miroirs

Par ailleurs, les neurones miroirs, cellules nerveuses présentes dans notre cerveau, jouent un rôle primordial dans l’apprentissage des tout-petits : ils leur permettent d’apprendre par imitation. Lorsqu’ils regardent quelqu’un qui fait une action, ils activent les mêmes zones cérébrales que celles activées par cette personne.

Les modes de régulation émotionnels utilisés par l’adulte (agacement, l’énervement ou la colère) pourront devenir un modèle de réaction pour le jeune enfant. D’où l’importance qu’il soit en contact avec des adultes en capacité de réguler leurs émotions et de les guider en ce sens.

 

Faire le point sur mes émotions dans mon quotidien professionnel

Ces constats montrent l’importance pour les professionnels de la petite enfance de faire le point sur leurs émotions pour apaiser l’atmosphère de leur lieu de travail.  

  • Comprendre le fonctionnement des émotions

D’abord, avant même de se poser plus de questions, il est important de comprendre comment fonctionne une émotion, de connaître son rôle, ses fonctions et le message qu’elle transmet par le biais du corps, de savoir qu’il s’agit d’une énergie physiologique

Autre point important à retenir : être à l’écoute des premiers signaux de l’émotion permet de la désamorcer et de de ne pas entrer en mode « cocotte-minute », un état où la tension est telle qu’elle ne peut se libérer qu’en ré-action, parfois non contrôlée et potentiellement plus violente qu’on ne la souhaiterait.

Apprendre à gérer ses émotions, c’est un travail quotidien visant à évacuer ses énergies physiologiques en pratiquant des activités qui nous font du bien (exercices de respiration, activités sportives, marche en pleine nature, yoga…).

 

  • Apprendre à se connaître

D’où l’importance, en tant que pro de la petite enfance, de faire le point sur son rapport à ses émotions. Quelles émotions me traversent régulièrement ? Pourquoi ? Comment je les régule ? Ai-je besoin de crier ? de parler ? ai-je suffisamment d’espace pour le faire ? quelle situation m’insupporte ?

Répondre à ces questions apporte déjà un début de solution. Cela est fondamental pour éviter toute contagion émotionnelle et faire la part des choses entre ce qui m’appartient, à moi pro de la petite enfance, et ce qui appartient à l’enfant. Le tout-petit ne doit pas porter ce qui va mal chez la professionnelle qui l’accueille. En un mot, mes difficultés sont les miennes : elles ne doivent pas intervenir dans mon quotidien professionnel.

Facile à dire n’est-ce pas ?

 

Des techniques pour vivre avec les émotions qui nous agitent

Dans les faits, c’est un peu plus compliqué. Pourtant, Aurélie Allain propose des techniques qui permettent d’améliorer la gestion des émotions au quotidien.

Avoir en tête une échelle des émotions

Une première piste, c’est de se demander, chaque matin, où nous en sommes émotionnellement sur une échelle de 0 à 10. Ce sont les sensations de notre corps qui nous permettent d’évaluer comment nous allons. Si l’on pense être supérieur à 5, les choses vont plutôt bien et l’on est paré(e) à gérer la journée. Si l’on pense être inférieur à 5, on sait que la journée s’annonce compliquée.

Dans ce second cas, il est important d’anticiper les difficultés.
- En lieux d’accueil collectif, on peut faire un point équipe le matin et expliquer lorsque ça va moins bien. On distribue alors les tâches différemment afin d’épargner les pros qui vont moins bien ce jour-là.
- À domicile, on peut penser à des activités que les enfants apprécient particulièrement afin de créer un environnement positif qui aidera à éviter les frustrations du tout-petit… et les situations difficiles à gérer pour l’adulte.
 

Des techniques de respiration et de cohérence cardiaque

Les effets d’une pratique régulière de cohérence cardiaque sont constatés rapidement. Le principal effet est un ressenti d’apaisement et de calme. La tension artérielle et le pouls diminuent. Aurélie Allain recommande de s’arrêter 5 minutes deux à trois fois par jour pour se donner le temps de respirer et d’apaiser les tensions qui nous animent. De nombreuses applications peuvent aider à cela, notamment Respirotec sur téléphone.

 

La douche émotionnelle 

Se laver de sa journée permet de bien marquer la frontière entre sa journée professionnelle et sa journée personnelle. À défaut d’une douche réelle, on peut imaginer que nos émotions (tensions) sont de la glaise qui s’est accumulée sur notre peau. Pour l’enlever, on frictionne son corps, en tapotant sur des endroits stratégiques : le haut de la tête, on frotte les poignets et les avant-bras, le plexus solaire (sous les côtes) et on finit en tapotant tout le long des jambes. Cela permet d’avoir accès à une nouvelle énergie et évite le cercle vicieux d’un travail qui déborde sur la vie à la maison et inversement.

 

Des pratiques qui nous ressourcent

Qu’il s’agisse d’une promenade dans la nature, d’un moment entre amis, d’un dessin mandala, de séances de yoga ou de course à pied, intégrer à son quotidien des activités qui nous apaisent aide à mieux accueillir les émotions.

 

Donner à l’enfant l’opportunité d’accueillir ses émotions au quotidien

Travailler avec l’enfant sur l’accueil de ses émotions, ce n’est pas attendre qu’une émotion arrive pour tenter d’en limiter l’expression. C’est les nommer au quotidien, leur donner une place dans l’espace de vie des tout-petits et leur enseigner des techniques quotidiennes pour apprivoiser ces flux d’énergie qu’ils comprennent mal.

Les neurosciences comme guide

Elles ont montré que le développement du cortex orbitofrontal, centre de régulation des émotions, termine de se développer autour de 25 ans.

Lorsque l’on sait à quel point il est difficile, même après 25 ans, de réguler ses émotions, on imagine la vague qui submerge les tout-petits lorsqu’ils sont en proie à un flot émotionnel.

Se mettre à la place de l’enfant 

Pour comprendre ce qui se passe dans le cerveau de l’enfant quand arrive une émotion, imaginez que vous ayez mal quelque part sans savoir de quoi vous souffrez, explique Aurélie Allain. Ce manque d’explication rationnelle est très angoissant. C’est donc face à cette angoisse que se trouve l’enfant lorsqu’il est confronté à la colère, à la peur, à la joie, à la tristesse, au dégoût ou à …

Apprendre à réguler ses émotions au quotidien

Cette angoisse décuple sa réaction. Or, comme il n’est pas possible d’apprendre à naviguer en pleine tempête, il est impossible d’apprendre à réguler les émotions lorsqu’elles nous submergent, explique la formatrice. Plus l’enfant apprend régulièrement à apprivoiser ses émotions, moins les émotions seront intenses et fréquentes. Un argument de poids pour intégrer l’accueil et la prise en compte des émotions au quotidien dans les lieux d’accueil individuel et collectif.

Voici quelques techniques pour y parvenir (retrouvez toutes ces techniques ici) :

  • La respiration

  • Les rituels

  • La verbalisation

  • La symbolisation des émotions

  • La localisation des émotions

  • La positive attitude

  • Le sourire et le rire

 

Accompagner les « crises émotionnelles »

Lorsqu’une crise arrive, demander au tout-petit de se calmer sera vain, il n’y parviendra pas. L’aider, c’est tenter de mettre des mots sur ce que son corps exprime ; « on dirait que tu es triste », « tu ne sembles pas content… ». Lui demander ce dont il a besoin pour s’apaiser peut aider. Parfois il demande un câlin, parfois d’être seul. Il faut respecter sa demande.

On peut également lui demander de respirer au même rythme que nous (j’inspire, je souffle) via un câlin kangourou ou encore l’inviter à prendre une boule à paillettes de type boule à neige, pour qu’il porte son attention sur les paillettes qui descendent au fond du pot.

 

Revenir sur une émotion forte

Une fois l’émotion passée, on peut expliquer à l’enfant que c’est un message du corps, que nous avons tous, tellement désagréable que l’on veut s’en débarrasser et qu’elle nous amène à agir d’une manière non adaptée (gros mots, jet de jouets…). Cela le rassurera de savoir qu’il n’est pas le seul à ressentir cela et que des moyens et techniques existent pour apprivoiser ses prochaines tempêtes. La littérature jeunesse peut donner des clés à l’adulte pour aborder les émotions avec le jeune enfant lorsque celui-ci est calme.

 

Ces clés en mains, vous devriez parvenir à apaiser votre quotidien professionnel en acceptant les émotions pour ce qu’elles sont : des forces qui nous permettent de nous protéger, de nous faire respecter et de créer des liens avec ceux qui nous entourent. À vous !

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