Jeu libre et jeu dirigé : une complémentarité indispensable

Tantôt exploration spontanée, tantôt activité guidée par l’adulte, le jeu se situe au cœur des pratiques éducatives en structure d’accueil du jeune enfant, comme en accueil individuel. Il constitue un vecteur d’apprentissage, un médiateur relationnel et un outil de développement de l’enfant

L’enfant, en raison de son immaturité cérébrale, ne peut avancer seul dans ses découvertes : il a besoin d’un environnement pensé, organisé, sécurisant, ainsi que de la présence d’un adulte engagé et disponible

En cela, jeu libre et jeu dirigé ne s’opposent nullement, ils sont plutôt complémentaires et permettent à l’enfant d’expérimenter, de structurer, de prendre place dans un groupe et de développer l’ensemble de ses capacités sensorielles, motrices, cognitives et sociales.

Comme nous le disait Josette Serres dans cette interview : “L’enfant ne joue pas, il expérimente”.  Il manipule, répète, tâtonne : il élabore de véritables hypothèses sur la réalité qui l’entoure.

Dans cet article, nous expliquons ce qu’est le jeu libre, ce qu’est le jeu dirigé, comment ils se complètent dans le développement du jeune enfant et en quoi les approches Montessori ou les neurosciences renforcent ces pratiques.


Qu’est-ce que le jeu libre ? 

Jeu libre : définition et caractéristiques essentielles

Le jeu libre repose sur l’exploration spontanée et permet à l’enfant de développer des compétences essentielles. Il va lui permettre :

  • la mobilisation spontanée de tous ses sens : toucher, manipuler, observer, écouter,

  • l’activation de circuits neuronaux essentiels par la répétition des expériences,

  • la consolidation de la pensée logique, car l’enfant observe des relations de cause à effet.

L'exploration autonome constitue ainsi l’un des piliers de la maturation du cerveau en construction. C’est à travers ces expériences libres que l’enfant construit ses compétences et développe progressivement son autonomie. Favoriser l’autonomie chez l’enfant passe donc par la mise en place d’activités libres et adaptées à son niveau de développement. Les neurosciences confirment que les premières années représentent une « fenêtre de tir » exceptionnelle : la plasticité cérébrale y est maximale, et chaque expérience contribue à tisser un réseau de connexions nouvelles.

Jeu libre : quel rôle pour l’adulte et comment créer un cadre sécurisant ?

Si le jeu libre repose sur la liberté d’agir et la spontanéité, il nécessite néanmoins une mise en scène pédagogique minutieuse où l’adulte adopte une posture ajustée faite de présence, de disponibilité et de regard soutenant.

Il organise un environnement :

  • sécurisé physiquement (espaces identifiés, matériel adapté, continuité de surveillance),

  • sécurisé affectivement (posture empathique, disponibilité, stabilité des repères),

  • riche et stimulant, favorisant l’exploration (coins-jeux, matériel varié, continuité des propositions).

Selon Jean Epstein, les quatre dimensions du jeu (« laisser jouer », « donner à jouer », « faire jouer », « jouer avec ») permettent à l’adulte de doser finement son implication et de soutenir l’enfant dans l’appropriation progressive de son environnement.

Qu’est-ce que le jeu dirigé ? 

Jeu dirigé : objectifs, caractéristiques et enjeux éducatifs

Le jeu dirigé, quant à lui, constitue une proposition éducative construite, préparée et réfléchie par le professionnel. Il ne s’agit pas simplement d’occuper l’enfant, mais de déployer d’autres possibilités, d’autres expériences en cohérence avec les besoins repérés grâce à l’observation.

Il permet notamment :

  • l’acquisition de compétences spécifiques (motricité fine, langage, repérage spatial…),

  • la découverte de matériaux, d’outils ou de gestes nouveaux,

  • la structuration du rapport au temps et aux consignes.

Exemple de jeu dirigé

Le jeu de recherche est par exemple un jeu dirigé. Il se déroule ainsi :

1 - Sur une grande nappe au sol, installez un bac, en le remplissant de sable ou de semoule. Cachez au fond de ce bac quelques animaux et/ou couverts de dînette. Disposez le matériel d’exploration autour. 

2 - Proposez à l’enfant de venir et laissez-le utiliser ce que vous avez mis à sa disposition.

3 - Il va probablement toucher le sable (ou la semoule), remplir les contenants, vider, remplir de nouveau, gratter le sable ou le sol avec le râteau ou utiliser la pelle. Au fur et à mesure qu’il jouera, le sable se videra un petit peu sur la nappe, laissant apparaître des animaux. Si ce n’est pas le cas, et qu’il commence à se désintéresser de ce jeu, montrez-lui un animal, au travers de la caisse transparente. Regardez sa surprise en les découvrant. Jouez l’étonnée avec lui : « Ça alors ! Un animal était caché sous le sable ! Tu crois qu’il y en a d’autres ? On cherche ensemble ? ».

 4 - Lorsque l’activité se termine, vous avez seulement à vider la nappe (avec éventuellement le sable dessus) dans le bac. Vous pouvez conserver ce bac pour le proposer une prochaine fois. 

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Jeu dirigé : la posture professionnelle pour accompagner l’apprentissage

Le jeu dirigé, loin de brider l’enfant, ouvre des possibles qu’il ne pourrait pas forcément atteindre seul. L’adulte devient alors un médiateur », offrant un cadre rassurant tout en invitant à la nouveauté.

Préparer un atelier dirigé requiert une véritable compétence : anticiper, organiser, doser les attentes, observer, ajuster, valoriser.

L’adulte doit pouvoir expliciter l’intention éducative, les moyens mis en œuvre, les attentes raisonnables et les adaptations nécessaires pour répondre aux singularités de chaque enfant.

Il s’agit de :

  • proposer sans imposer,

  • orienter sans saturer,

  • guider sans déposséder l’enfant de son pouvoir d’agir.

Le jeu dirigé devient alors un espace privilégié pour renforcer la confiance en soi, en encourageant et félicitant l’enfant et en lui proposant des choses plus complexes, car le cerveau apprend en se trompant 

Jeu libre et jeu dirigé : une complémentarité indispensable au développement de l’enfant

Jeu libre et jeu dirigé répondent à des besoins distincts mais essentiels. Le premier nourrit l’exploration, la créativité, la répétition des expériences sans consignes d’utilisation des jeux.

Le second soutient les apprentissages plus structurés.

Ils concourent ensemble à :

  • la structuration de la pensée ;

  • le développement du langage et de la communication ;

C’est grâce à l’observation professionnelle que cette complémentarité se construit,  se nourrit , car elle permet 

  • d’identifier le niveau de développement de chaque enfant ;

  • d’adapter les propositions ;

  • de repérer les intérêts émergents ;

  • d’ajuster le degré de liberté ou de guidage nécessaire.

Observer, c’est se décentrer de soi pour se centrer sur l’enfant, comprendre ce qu’il vit, ce qu’il montre, ce dont il a besoin, et non ce que l’adulte projette.

La pédagogie, loin de se réduire à une méthode, constitue une posture : l’adulte pense son action, s’inscrit dans un projet et se demande à chaque instant ce qu’il met en place, pourquoi, et si cela répond bien aux capacités réelles de l’enfant.Ces compétences font aujourd’hui partie intégrante des modules de formation des assistantes maternelles, qui apprennent à aménager un environnement propice aux activités autonomes, à accompagner les explorations libres et à proposer des activités dirigées adaptées au développement de chaque enfant.


Neurosciences et développement de l’enfant : pourquoi le jeu est essentiel au cerveau

Les neurosciences, dont on parle beaucoup depuis quelques années nous ont également  montré que :

  • les expériences sensorielles et motrices nourrissent la construction neuronale,

  • la répétition d’actions enrichit les réseaux synaptiques,

  • les émotions positives facilitent l’apprentissage,

  • la relation sécurisante avec l’adulte est indispensable à la maturation des fonctions exécutives (inhibition, flexibilité, attention…).

Le jeu libre comme dirigé devient donc une activité cérébrale majeure. 

Chaque geste, chaque interaction, chaque imitation constitue une brique  dans le développement.

La complémentarité entre jeu libre et jeu dirigé s’inscrit dans une vision globale du développement du jeune enfant  une vision où la liberté d’explorer rencontre la sécurité d’être accompagné, où l’initiative se conjugue à la structuration, où le plaisir d’agir s’allie à l’apprentissage.

L’adulte, grâce à une posture professionnelle réfléchie et une pédagogie ancrée dans l’observation, offre les conditions nécessaires à toutes les possibilités exploratoires.

En proposant des environnements riches et variés, en respectant le rythme propre à chaque enfant, en organisant des activités porteuses de sens, il soutient la construction du cerveau, du corps, de la pensée et de la relation.

Ainsi, loin de s’opposer, jeu libre et jeu dirigé se révèlent les deux faces complémentaires d’une même dynamique éducative, dont la finalité est de permettre à l’enfant de devenir acteur de son développement, sûr de lui, curieux du monde et capable d’y trouver sa place.

Montessori : une pédagogie fondée sur l’autonomie et l’exploration

Parmi les courants pédagogiques ayant profondément influencé les pratiques auprès du jeune enfant, la pédagogie développée par Maria Montessori occupe une place singulière. Sa force réside dans la cohérence d’un dispositif articulant liberté d’agir, cadre structuré et matériel pensé pour accompagner le développement naturel de l’enfant.

Montessori considère que chaque enfant porte en lui un potentiel d’apprentissage qui ne demande qu’à être révélé. L’adulte n’est plus celui qui instruit mais celui qui prépare, observe et accompagne, permettant à l’enfant d'accéder à son propre pouvoir d’agir. Cette vision rejoint les apports des neurosciences, un enfant actif, engagé, libre de répéter et d'explorer développe plus aisément ses connexions neuronales.

Selon Montessori, l’enfant apprend en faisant et se construit par l’expérience.
Dans cette perspective, les ateliers de vie pratique, de manipulation et d’expérimentation sensorielle rejoignent en de nombreux points les fondements du jeu libre : 

  • mouvement, 

  • répétition, 

  • liberté de choix.

Plus l’enfant expérimente librement dans un cadre sécurisant, notamment à travers des activités autonomes pensées pour favoriser l’autonomie, plus il développe sa capacité d’attention, d’inhibition, de flexibilité cognitive et de planification.

Les approches Montessori s’inscrivent ainsi pleinement dans une éducation centrée sur l’autonomie et la capacité de l’enfant à apprendre par lui-même, grâce à des activités soigneusement pensées et adaptées à son rythme.


Conclusion

Le jeu libre et le jeu dirigé constituent deux approches complémentaires qui soutiennent pleinement le développement du jeune enfant. Le premier favorise l’exploration, l’autonomie et la créativité, tandis que le second apporte un cadre structuré permettant d’acquérir des compétences spécifiques. Les neurosciences comme les approches Montessori confirment l’importance d’un environnement préparé, stable et stimulant, pensé pour répondre aux besoins réels des enfants.

Pour les professionnels de la petite enfance, savoir observer, ajuster son rôle et aménager un espace propice au jeu est essentiel. Si vous souhaitez approfondir ces pratiques et apprendre à organiser des environnements favorisant le jeu libre, vous pouvez découvrir notre formation « Favoriser le jeu libre et aménager les espaces ».


FAQ :

Quelle est la différence entre le jeu libre et le jeu dirigé ?

Le jeu libre permet à l’enfant d’explorer spontanément, de manipuler, de répéter et d’élaborer ses propres hypothèses sur le monde. Il s’appuie sur l’autonomie et la liberté d’agir.
Le jeu dirigé, au contraire, est préparé par l’adulte qui propose une activité pensée pour répondre à des besoins repérés. Il offre un cadre structuré pour développer des compétences spécifiques.

Pourquoi le jeu libre est-il essentiel au développement du jeune enfant ?

Le jeu libre mobilise naturellement tous les sens, active les circuits neuronaux par la répétition et permet à l’enfant d’observer les relations de cause à effet. Il est un pilier de la maturation cérébrale et soutient l’autonomie, la créativité et la pensée logique.

Quel est le rôle de l’adulte dans le jeu libre ?

L’adulte crée un environnement sécurisant, riche et stimulant. Il adopte une posture de présence discrète, d’observation et de soutien. Son rôle est d’organiser l’espace, de garantir la sécurité affective et de proposer du matériel adapté sans diriger les actions de l’enfant.

Quels sont les objectifs du jeu dirigé ?

Le jeu dirigé permet l’acquisition de compétences ciblées : motricité fine, langage, repérage spatial, compréhension des consignes, découverte de gestes nouveaux… Il ouvre des possibilités que l’enfant n’atteindrait pas seul.

Comment l’adulte accompagne-t-il le jeu dirigé ?

Préparer un atelier dirigé nécessite d’anticiper, de doser les attentes, d’observer et d’ajuster. L’adulte doit expliciter son intention éducative et guider l’enfant sans le priver de son pouvoir d’agir.

En quoi jeu libre et jeu dirigé sont-ils complémentaires ?

Le jeu libre nourrit l’exploration, la répétition et la créativité. Le jeu dirigé soutient des apprentissages plus structurés. Ensemble, ils contribuent au développement global : pensée, langage, communication, compétences sociales et émotionnelles.

Quel est l’apport des neurosciences concernant le jeu ?

Les neurosciences montrent que les expériences sensorielles et motrices enrichissent les réseaux neuronaux, que la répétition consolide les apprentissages et que la relation sécurisante soutient les fonctions exécutives. Le jeu, sous toutes ses formes, est une activité cérébrale majeure.

Quel lien existe-t-il entre Montessori et le jeu libre ?

La pédagogie Montessori repose sur l’autonomie, la liberté d’agir et la répétition dans un environnement structuré. Les ateliers Montessori rejoignent les principes du jeu libre : exploration, mouvement, choix, concentration et développement du pouvoir d’agir.

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Vanessa AKAKPOedumiam